- DÉMANTÈLEMENT DES PLATES-FORMES PÉTROLIÈRES
- DÉMANTÈLEMENT DES PLATES-FORMES PÉTROLIÈRESE DÉMANTÈLEMENT DES PLATES-FORMES PÉTROLIÈRESL’exploitation des gisements pétroliers ou gaziers situés en mer, sous les plateaux continentaux, nécessite des installations complexes, véritables usines plantées au large des côtes pour extraire, séparer, traiter, stocker et expédier les hydrocarbures piégés dans le sous-sol. Plus de six mille cinq cents plates-formes pétrolières sont actuellement réparties à travers le monde (tabl. 1). Ces installations ont une durée de vie limitée, généralement comprise entre vingt et trente ans, correspondant au temps d’exploitation des réserves du gisement au-dessus duquel elles ont été implantées. Le nombre et surtout la taille des plates-formes arrivant en fin de vie augmentent considérablement depuis quelques années. Quel est le devenir de ces installations? Cette question a déjà fait l’objet d’un conflit en 1995 entre la compagnie pétrolière anglo-néerlandaise, Royal Dutch-Shell, qui désirait immerger la plate-forme Brent-Spar installée en mer du Nord, et l’association écologiste Greenpeace, qui s’opposait fermement à ce projet qu’elle jugeait nuisible pour l’environnement. Cette affaire a révélé au public, de manière soudaine, un des aspects environnementaux du problème. Mais il ne s’agit pas du seul paramètre: droit de la mer, protection de l’environnement, intérêts industriels et nationaux, défis technologiques, enjeux économiques et financiers sont aussi à prendre en considération.Les problèmes posésLa plupart des plates-formes pétrolières sont de «modestes» structures métalliques, de quelques centaines de tonnes, installées dans de faibles profondeurs d’eau (quelques mètres ou quelques dizaines de mètres). Mais certaines atteignent des dimensions impressionnantes: leurs superstructures, où sont rassemblées toutes les installations techniques ainsi que les quartiers de vie, peuvent représenter la surface de deux terrains de football, la hauteur d’un immeuble de dix étages et reposer par plus de trois cents mètres de fond, sur des colonnes en béton pesant plus d’1 million de tonnes! Celles qui sont situées sur des fonds intermédiaires (100-150 m) reposent généralement sur des jambages métalliques qui pèsent quelques dizaines de milliers de tonnes; d’autres sont installées sur des supports flottants, ancrés au sol.Le débat concernant l’abandon des installations pétrolières porte sur deux aspects: le démantèlement des plates-formes proprement dit et le devenir des parties démantelées. Faut-il, en effet, démanteler intégralement les installations désaffectées et rétablir le fond marin dans son état initial, ou peut-on se contenter d’éliminer les matériaux polluants et de laisser tout ou partie des installations sur place? Et que faire des parties démontées? Faut-il les ramener à terre, les recycler, leur trouver un réemploi, ou bien les mettre en décharge contrôlée, voire les immerger?Ces questions ne se posent en fait que pour les grosses structures (c’est-à-dire pour moins de 5 p. 100 des installations), les petites plates-formes ne présentant pas de difficultés de démantèlement. Le coût de l’abandon de ces grandes structures pourrait être du même ordre de grandeur que celui de leur installation, c’est-à-dire atteindre quelques centaines de millions de francs, voire dépasser le milliard.Il faut garder à l’esprit que, dans la plupart des pays, le coût du démantèlement des installations est partiellement supporté par le pays lui-même, qui a tiré bénéfice – soit par le jeu d’une contribution directe, soit par le biais de la fiscalité – des ressources pétrolières tout au long de l’exploitation du gisement. Or si les pays sont prompts à engranger les redevances ou les taxes sur l’exploitation des gisements, ils se montrent beaucoup moins pressés d’investir pour le démantèlement des structures, d’autant qu’aucun bénéfice n’y est associé. L’abandon des installations, quelle que soit la technologie retenue, a un coût qui est supporté in fine par le contribuable ou le consommateur. Pas étonnant que, avec de tels enjeux, la réglementation ait fluctué.Une réglementation complexe, en pleine évolutionLa première ébauche de réglementation remonte à 1958, avec la Convention de Genève sur le plateau continental (tabl. 2). À cette époque, les rares installations pétrolières en mer étaient de petites dimensions et implantées dans de faibles profondeurs d’eau, et l’élimination totale de toute infrastructure d’origine humaine sur le sol marin ne semblait pas devoir poser de problème majeur.En 1973, la crise pétrolière eut pour conséquence d’engager la prospection dans des eaux beaucoup plus profondes, dans des mers beaucoup plus difficiles, comme la mer du Nord, avec pour conséquence la mise en service d’installations très lourdes. C’est pourquoi, en 1982, la Convention de l’O.N.U. sur le droit de la mer (United Nations Convention on the Law of the Seas, ou U.N.C.L.O.S.) ouvrit la porte, dans son article 60(3), à l’élimination partielle des installations artificielles en mer (de quelque type que ce soit) pour autant que la libre circulation des navires, la protection de l’environnement, la pêche et autres usages légitimes de la mer soient respectés et préservés. Sept ans plus tard, dans sa résolution A 672(16) d’octobre 1989, l’Organisation maritime internationale (O.M.I.) précisait dans quelles conditions certaines installations pétrolières désaffectées pouvaient être partiellement laissées en place.Sur le plan régional (mer du Nord et mer d’Irlande), la Commission d’Oslo, qui régit depuis 1972 les conditions d’immersion des déchets de toute nature dans ces eaux, émit pour sa part, en 1991, des lignes directrices précisant dans quelles conditions devaient ou pouvaient se faire l’immersion d’installations démantelées. Cependant, à la suite de l’affaire Brent-Spar, les ministres de l’Environnement des pays riverains de la mer du Nord puis la Commission d’Oslo décidèrent, en juin 1995, d’un moratoire suspendant toute immersion en attendant qu’une décision définitive soit prise. Ils saisirent la Convention de Londres qui régit, à l’échelle planétaire, l’immersion des déchets en mer, lui demandant d’interdire dorénavant toute immersion de plate-forme. Les représentants à la Convention n’accédèrent pas à cette demande, et, en mai 1996, le comité scientifique de la Convention de Londres recommanda de traiter le problème dans le cadre général de l’immersion des déchets et proposa de définir des lignes directrices appropriées, en même temps qu’il demandait à l’O.M.I. de réexaminer les siennes, en ce qui concerne les conditions de démantèlement.Parallèlement, en juin 1996, tous les pays signataires de la Convention d’Oslo entérinèrent les modalités d’immersion des déchets.Les différentes options possiblesDans une installation pétrolière classique, il convient de distinguer la superstructure et le support, qui ne subissent pas nécessairement le même sort.Tout démantèlement commence par le bouchage des puits, le nettoyage sur place des installations et l’élimination des produits les plus dangereux (produits chimiques, par exemple). Si les installations de surface ont généralement été en contact avec les hydrocarbures, les supports, eux, sont constitués de matériaux inertes qui n’ont pas été pollués par les matières dangereuses (à l’exception des installations de stockage).Les principales options pour le démantèlement et le devenir des installations nettoyées sont alors les suivantes:– Le recyclage. Tout ou partie de l’installation est ramené à terre. Les parties métalliques, ferraillées, sont ensuite fondues et recyclées.– Le stockage en site agréé. Tout ou partie de l’installation, ramené à terre, est mis dans une décharge agréée, et est stocké.– Le basculement sur place. Tout ou partie de l’installation est basculé sur place, en s’assurant que la hauteur d’eau libre est suffisante (55 m selon les prescriptions de l’O.M.I.).– L’élimination en eaux profondes. L’installation est remorquée au large et immergée dans un site autorisé (à plus de 150 milles marins des côtes et à plus de 2 000 m de profondeur, selon la Commission d’Oslo).– L’abandon sur place. L’installation, mise en sécurité, est laissée sur place, ce qui suppose certaines dispositions de signalisation et d’entretien.– Le réemploi dans l’industrie pétrolière. Tout ou partie de l’installation est réutilisé sur un nouveau site – à des fins d’exploitation d’autres ressources pétrolières – présentant des caractéristiques compatibles.– Le réemploi en récif artificiel. L’installation est laissée à sa place ou déposée au fond de la mer, à un endroit prédéfini où elle est agglomérée à d’autres installations similaires. Un récif artificiel est ainsi constitué et est destiné au développement ou à la protection de la faune et de la flore marines.Il est également possible d’imaginer d’autres réemplois: par exemple comme support de phare, module de formation à la lutte anti-incendie, centre de recherche marine ou matériel de consolidation des jetées.En règle générale, les modules qui composent la superstructure sont ramenés à terre pour en parfaire le nettoyage et récupérer ce qui peut l’être. C’est le reste de l’installation, c’est-à-dire le support, resté à sa place, qui est susceptible d’être traité selon les options qui viennent d’être décrites.Pour bien des raisons, le réemploi ou le recyclage complet des installations a eu la faveur des écologistes. Cependant, le bénéfice environnemental du recyclage complet n’est pas aussi évident qu’il peut sembler à première vue: démonter des installations de grande taille, sises au milieu d’une mer tourmentée comme la mer du Nord, nécessite de recourir à des techniques lourdes, dangereuses (découpe à l’explosif des jambages de plus d’1 mètre de diamètre, en acier de plusieurs centimètres d’épaisseur) et coûteuses. De plus, que faire des matériaux ramenés à terre? Les quantités sont énormes, les installations portuaires capables de les accueillir extrêmement rares, la fonte des matériaux est grande consommatrice d’énergie (comparable à celle qui est nécessaire à la fonte du minerai d’origine), et le transport mer-terre n’est pas sans risque. Par ailleurs, la réutilisation de modules de traitement ou de supports sur d’autres gisements n’est que très exceptionnellement envisageable, car les installations ont été spécialement dessinées et construites pour une profondeur d’eau déterminée, un type d’effluent précis (pétrole, gaz ou condensat), un débit journalier et une quantité totale prédéterminés, etc. Quant à la mise à la décharge de tels volumes, elle ne paraît pas réaliste, en particulier pour les installations en béton. D’où l’idée de l’immersion des installations les plus volumineuses, une fois débarrassées de leurs matériaux potentiellement polluants.En fait, chacune des solutions comporte des avantages et des inconvénients, représente un impact différent sur l’environnement, à terre comme en mer. Chacune a un coût énergétique lié partiellement à la récupération des matières premières; chacune présente des risques pour les hommes. Le coût de certaines solutions est si élevé que, si elles étaient imposées, cela conduirait à hypothéquer la rentabilité d’un certain nombre de gisements et donc à laisser dans le sous-sol des réserves inexploitées. Il s’avère donc que, pour une installation déterminée, seule l’étude approfondie des différentes options peut permettre de dégager la meilleure solution, compte tenu de l’ensemble des critères à prendre en considération. C’est la démarche retenue et prônée par les deux principaux pays concernés, la Grande-Bretagne et la Norvège.L’expérience du golfe du MexiqueLa région du globe où le problème s’est posé pour la première fois est le golfe du Mexique, où plus de quatre mille installations ont été mises en service depuis les années 1940, dont plus de mille ont été démantelées durant la décennie de 1980.Durant les années 1990, on a enlèvé plus de plates-formes qu’on n’en a installé. Les plus anciennes sont implantées dans des eaux relativement peu profondes et sont de dimensions modestes. Leur démantèlement n’a donc pas posé de problèmes; mais, compte tenu des quantités énormes de ferraille récupérées, leur devenir a fait l’objet de longs débats et d’études comparatives. 90 p. 100 des installations ont été recyclées, les 10 p. 100 restants (ce qui représente tout de même une centaine de structures) ont été utilisés pour créer des récifs artificiels qui servent d’habitat pour les poissons et constituent une source de revenus pour les pêcheurs sous-marins et le tourisme aquatique. On a en effet constaté que les poissons aiment nicher dans ce type de structure que d’autres pays, comme le Japon, construisent d’ailleurs à cette seule intention.La mer du NordEn mer du Nord, la situation est quelque peu différente. En effet, les gisements sont situés dans des eaux nettement plus profondes et aux conditions océano-météorologiques très difficiles. Les plates-formes y ont donc une tout autre dimension, les plus importantes étant en béton. Les travaux de démantèlement y sont autrement plus lourds et plus complexes. De plus, ils s’étalent sur plusieurs saisons puisqu’ils ne sont possibles que pendant la courte période estivale de l’année. Pour toutes ces raisons, le démantèlement lui-même des installations et leur transfert à terre présentent des risques et ont des conséquences financières bien plus importantes. En outre, il n’existe pas encore de port européen équipé pour recevoir, démonter et recycler ces installations colossales, hautes comme la tour Eiffel. Et quand bien même il y en aurait, cela n’irait pas sans engendrer un certain nombre de nuisances pour l’environnement portuaire immédiat. Dès lors, on s’est demandé s’il est plus bénéfique de démanteler ces installations ou de les immerger, une fois qu’elles sont nettoyées et que l’on a éliminé les contaminants possibles de la mer.L’affaire de la bouée Brent-Spar a révélé toute la problématique du recyclage éventuel. La bouée est restée pendant de longs mois dans un fjord norvégien faute d’infrastructures adéquates pour l’accueillir. Et la situation est encore plus critique pour les monstres de béton dont tout réemploi semble exclu.Le parapétrolier: son rôle, ses opportunitésL’industrie parapétrolière – c’est-à-dire les compagnies qui conçoivent et construisent pour le compte des opérateurs pétroliers leurs plates-formes, qui les remorquent et les mettent en place – a très vite compris le marché potentiel que représente le démantèlement et le recyclage des installations désaffectées. Ces compagnies ont apporté des arguments aux écologistes et aux représentants des ministères de l’Environnement des pays concernés, en assurant que le démantèlement ne pose pas de problème technique particulier, qu’il peut se réaliser à un coût raisonnable et que le savoir-faire existe.Mais elles ont aussi compris qu’il leur fallait rapidement proposer de nouvelles solutions, de nouveaux types d’installations pétrolières, qui ne poseraient pas les mêmes problèmes au moment de leur mise hors service. Cela les a conduites à multiplier les projets d’installations flottantes, sous différentes formes (semi-submersibles, à lignes tendues avec puits sous-marins, etc.), installations qui offrent l’avantage de résoudre a priori le problème du démantèlement. Cela est d’ailleurs en parfait accord avec les dispositions mêmes de l’O.M.I., qui prévoient que toute installation pétrolière mise en place après le 1er janvier 1998 devra avoir été conçue pour être entièrement démantelable.C’est donc la résolution du problème du devenir des grosses installations mises en place entre 1975 et 1998, et qui arriveront en fin de vie d’ici à 2005-2025, qui se trouve au cœur de l’enjeu des débats et des recherches actuels. Au-delà, l’évolution des techniques devrait avoir permis l’exploitation des gisements avec d’autres types d’installations.
Encyclopédie Universelle. 2012.